Retrouvez ma contribution au débat sur la dépendance publiée hier dans le quotidien La Tribune.
Dépendance : l’assurance individuelle ne peut financer un nouveau droit universel
En annonçant, plein de compassion, le 21 septembre prochain son « plan Alzheimer », Nicolas Sarkozy va tenter de nous faire oublier le principal : la prise en charge de la dépendance sera financée par un système de franchises et d’assurances individuelles, c’est-à-dire en tournant définitivement le dos à la solidarité nationale.
Certes, on ne peut qu’applaudir quand un Président de la République décide de se mobiliser au service d’un combat essentiel : faire reculer la maladie d’Alzheimer, donner des moyens de réussir face à une maladie qui se développe à grande vitesse et, plus généralement, orienter nos efforts pour faire face au vieillissement continu de la population. Mais, Président d’un Conseil général, je ne peux rester silencieux devant le tournant historique que la Président de la République veut nous faire prendre à cette occasion.
Certes, la recherche française dans ce domaine, et est en retard. Une détection plus précoce pourrait faire gagner 3 à 4 années dans le démarrage de la prise en charge et mieux «aider les aidants», ces orientations font l’unanimité. Tellement qu’elles n’ont rien de nouveau ; elles apparaissent déjà dans les Plans Alzheimer de 2001 et 2004 et « inspirent » nombre de schémas départementaux en faveur des personnes âgées, conçus par les Conseils généraux. En Essonne, nous avons fait le choix de ces dispositifs innovants en favorisant l’ouverture ce 5 octobre du premier établissement spécifiquement dédié à l’accueil des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
Mais, pourquoi, alors que la lutte contre la maladie d’Alzheimer est décrétée « grande cause nationale », lancer le principe d’un financement par l’assurance individuelle ? Nous sommes là au cœur des contradictions du nouveau Président de la République : d’un côté la définition d’un nouveau droit, de l’autre l’aveu de l’impuissance publique et le choix d’un financement « chacun pour soi ».
Adossée à des principes de répartition particulièrement injustes, cette politique met en cause le pacte social et républicain qui rassemble les français.
Qu’on en juge plutôt.
Le plus grave d’abord. La situation de notre système de solidarité nationale est alarmante ; la « sécu » s’enfonce, on annonce 12 milliards d’euros de déficit pour l’année 2008 : le principal instrument de répartition entre les français du coût des politiques de solidarité est laissé en état de mort programmée.
Le plus choquant, ensuite. Les franchises et les assurances individuelles vont pénaliser les malades et les plus modestes, ce qui est un comble. Et on utilise la compassion de la nation pour faire avaler la pilule.
Le plus insidieux, enfin. Ce seront les collectivités locales, les Conseils généraux, en particulier, déjà en charge de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA), de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH), du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) qui devront faire face. Comment le pourront-ils ? Leurs finances sont mises à mal : Techniciens, Ouvriers de service (TOS), Revenu Minimum d’Insertion (RMI), routes, handicap, etc. …. des milliards d’euros de transferts leur sont tombés sur la tête, et l’Etat n’en a pas assuré la juste compensation ; responsables de droite comme de gauche en font aujourd’hui l’amer constat.
Alors qu’il faut faire appel à la solidarité nationale, le gouvernement FILLON décide de « décharger » chaque année les plus riches d’entre les français de quelques 13 milliards d’euros d’impôt. Nous basculons dans la santé à plusieurs vitesses, la culpabilisation comme mode de régulation et au final la hausse inévitable des impôts locaux.
Chaque jour, les Conseils généraux mesurent les effets de cette politique à leurs dépends mais surtout à celui des habitants des départements. Le mécanisme est hélas bien connu : les équipes des départements conçoivent des politiques ambitieuses, innovantes. Et l’Etat, pour tenir son rôle, n’a plus un euro à mettre sur la table.
Pour ouvrir des places en Maisons de retraite, pour ouvrir des unités Alzheimer, il faut un financement d’Etat. Ces questions relèvent d’une politique nationale de santé publique, il faut des personnels qualifiés, il faut des matériels adaptés et à chaque fois le constat est le même, il n’y a pas assez d’argent.
Le système ne peut qu’exploser : l’Etat n’a plus les moyens, il soulage les riches, prônent dans le même temps de grandes causes, et « conseille » aux français de s’assurer personnellement. C’est inacceptable et cynique. Les esprits sont ainsi préparés pour un virage plus radical encore : abandon du principe de solidarité, montée en puissance des assurances pour les français qui en ont les moyens et forte compassion pour les autres.
La campagne présidentielle n’a pas fait place à ce grand débat : la question du vieillissement de la France, de la dépendance et du 5ème risque, et les dispositifs de solidarité nécessaires. A l’opposé de la pensée libérale sarkozyste, il nous faut aujourd’hui lancer cette vaste réflexion ; elle est inévitable, si nous voulons enfin déboucher sur une vraie 5ème branche de la solidarité et faire face aux conséquences de l’allongement de la durée de la vie.