L’abrogation du conseiller territorial, issu de la loi du 16 décembre 2010 et qui a suscité plus de rejets et d’incompréhension que d’adhésion, est donc, en elle-même, une étape essentielle, comme l’a été le vote de la proposition de loi relative à l’intercommunalité le 4 novembre dernier au Sénat, une étape de plus dans la reconstruction du dialogue et de la confiance entre les collectivités territoriales et l’Etat.
Le conseiller territorial est le symbole d’une mauvaise réforme au service d’une conception erronée de nos institutions.
Une mauvaise réforme pour plusieurs raisons :
D’abord, parce qu’elle rompt avec une philosophie décentralisatrice à laquelle est attaché notre pays depuis 1981 et renforcée par le travail de notre collègue Jean Pierre RAFFARIN en 2003.
Le Président de la République a mis fin à ce consensus national, pour des raisons économiques puisqu’il y aurait trop d’élus, trop d’échelons, trop de proximité peut-être ; pour des raisons politiques, puisqu’il y a une aspiration du Président à la recentralisation de notre république, et les réformes successives du gouvernement asphyxiant financièrement les collectivités territoriales ne viendront pas me contredire sur ce point, et enfin, peut-être, pour des raisons plus personnelles puisque la rupture est encore et toujours l’inclination naturelle du Président de la République.
Ensuite, parce que la mesure phare de la réforme est le rapprochement des régions et des départements en fusionnant les conseillers régionaux et généraux en un « conseiller territorial ».
La création de cet élu hybride, à deux têtes, l’une au conseil régional, l’autre au conseil général, provoque un recul démocratique et une confusion institutionnelle.
Un Recul démocratique car la création du conseiller territorial contribue à éloigner les élus et les assemblées délibératives des citoyens qu'ils sont censés représentés en faisant l’impasse sur la nature différente du département et de la région. Le Conseil général, à l’écoute des citoyens, du monde associatif et des élus, est un interlocuteur de proximité et privilégié pour les communes rurales. Le Conseil régional est une collectivité de mission, responsable des choix stratégiques en matière d’aménagement et de développement des territoires. Le conseiller territorial compliquera la lisibilité des politiques conduites par les deux collectivités puisque ce seront les mêmes élus qui siègeront dans deux collectivités différentes. Et la suppression de la clause de compétence générale pour les départements et les régions, les missions dévolues aux nouveaux conseillers territoriaux les transformeront peu à peu en des administrateurs professionnels, bien loin de leurs électeurs, bien loin des citoyens.
Une confusion institutionnelle car le risque est grand que l’autonomie et l’indépendance des collectivités soient bafouées, au profit d’un fonctionnement tutélaire de nos institutions. Nous pensons à la tutelle d’une collectivité sur une autre, en particulier dans les régions composées de deux départements, où le plus gros des deux risque de s’imposer à la région.
Mais le risque majeur, le danger insoupçonné, c’est la rupture de notre conception de l’Etat, la fin de notre équilibre institutionnel. La réforme territoriale, à travers la création du conseiller territorial, fige, dans l’esprit de la loi, non notre tradition d’Etat unitaire mais la reconnaissance d’un fédéralisme à la française. La fin de la décentralisation. Cette réforme est source de confusion et porte des dynamiques territoriales qui finiront par emporter soit le département, soit la région.
Ainsi, qu’en sera-t-il du rôle et de la crédibilité de l’Etat si une collectivité de tutelle, organisée et puissante conteste à l’Etat ses prérogatives de puissance publique sur son territoire ?
Voici le texte de mon intervention en réponse à la demande de renvoi en commission, pour plus de réflexion, de l'opposition au Sénat:
"Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en dépit des interventions convergentes, pertinentes et convaincantes de la majorité sénatoriale, notre collègue Hervé Maurey vient de demander à notre assemblée de renvoyer à la commission la proposition de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial.
Les débats qui sont déroulés ce soir ont permis de le réaffirmer, le conseiller territorial était la pierre angulaire mal taillée de la réforme – que dis-je ? –, de la contre-réforme territoriale voulue par le Président de la République. Retirons cette pierre, et l’ensemble de l’édifice s’écroulera !
L’abrogation du conseiller territorial ouvrira de nouvelles perspectives de débat, pour construire sereinement le nouvel avenir de nos collectivités territoriales, pour bâtir un nouveau pacte territorial de confiance, indispensable, entre les élus locaux et l’État et pour entamer la réflexion sur le nécessaire acte III de la décentralisation.
La motion tendant au renvoi à la commission du texte s’inscrit en vérité dans l’esprit de l’acte I de la recentralisation voulue par le Gouvernement.
La nouvelle majorité sénatoriale considère, à l’inverse, qu’il est grand temps de mettre en œuvre l’acte III de la décentralisation. C’est pourquoi il est urgent d’abroger le conseiller territorial, afin de préparer au plus tôt cet acte III avec les élus, leurs associations pluralistes et les acteurs locaux.
Ce sera d’ailleurs l’objet des états généraux de la démocratie territoriale, dont notre président Jean-Pierre Bel a pris l’initiative, ce qui semble gêner beaucoup les membres de l’opposition sénatoriale…
Telles sont les raisons pour lesquelles, ce soir, je demande au Sénat de rejeter catégoriquement la motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial.(Applaudissementssur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)"