INTERVENTION 1er décembre 2011 9H30
Michel BERSON
RAPPORTEUR SPECIAL
Mission « Recherche et enseignement supérieur »
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Philippe Adnot et moi-même, rapporteurs spéciaux de la mission « Recherche-enseignement supérieur », nous sommes répartis les compétences de la manière suivante : notre collègue s’est chargé du bloc « Enseignement supérieur », qui correspond à environ la moitié des crédits de la mission, et je me suis chargé du bloc « recherche », ainsi que des considérations d’ensemble.
Je ne vous assommerai pas de chiffres, mais je rappellerai seulement qu’avec 25,4 milliards d’euros de crédits de paiement :
- c’est la mission la plus importante, après les missions « Défense » , « Enseignement scolaire » et, bien sûr, « Engagements financiers de l’Etat », c’est-à-dire la charge de la dette ;
- c’est la mission dont les crédits permettent de préparer l’avenir, en investissant dans l’économie de la connaissance et l’innovation, aujourd’hui principaux moteurs de la croissance.
Puisque l’heure est au bilan, Monsieur le Ministre, qu’en est-il de l’évolution des crédits de la mission « Recherche – Enseignement supérieur », depuis 2007 ?
La commission des finances considère que si l’on compare, « objectivement », les moyens de la recherche et de l’enseignement supérieur entre 2007 et 2012, l’augmentation constatée est plus proche de 5,6 milliards d’euros que des 9 milliards d’euros promis par le Président de la République au début de son mandat, … et des 9,4 milliards annoncés récemment par vous-même, Monsieur le Ministre, lors de la présentation de votre budget.
Pour atteindre ce chiffres de 9,4 milliards d’euros, vous avez recourt à deux procédés :
- le principal consiste à comptabiliser des dépenses qui seront réellement payées, avec un impact sur le besoin de financement, par les législatures suivantes. Cela amène, dans le cas des crédits budgétaires, à prendre en compte non les crédits de paiement, mais les autorisations d’engagement. Ainsi, dans le cas des dépenses fiscales, vous prenez en compte le crédit d’impôt recherche, non pour son coût budgétaire de 2,3 milliards d’euros en 2012, mais pour le montant de la créance correspondante des entreprises, qui s’établit à 5,3 milliards d’euros. Cette somme représente le coût moyen annuel du CIR pour les prochaines législatures ;
- le deuxième procédé auquel vous avez recourt pour – permettez-moi l’expression - « gonfler » les chiffres consiste à prendre en compte 1,2 milliard d’euros qui correspondent, non à des dépenses de 2012, mais à des dépenses cumulées de 2007 à 2012. Il s’agit là des intérêts cumulés de l’opération Campus et des autorisations d’engagement des partenariats public-privé sur toute la période.
J’ajouterai que ces dépenses sont encore largement virtuelles, en particuleir si l’on raisonne en crédits de paiement.
L’engagement présidentiel d’augmenter, sur la période 2007-2012, les moyens de la Recherche et de l’Enseignement supérieur de 9 milliards d’euros, n’a donc été respecté que partiellement.
Je veux maintenant souligner le scepticisme de la commission des finances sur le « grand emprunt », dont la vocation devait être de financer massivement les investissements d’avenir.
De quoi s’agit-il ?
Le Président de la République a décidé d’afficher un effort sans précédent en faveur de la recherche, en lui réservant 22 milliards d’euros, dont 15 non consomptibles. Mais ces crédits ne pouvant pas être réellement dépensés par les administrations publiques - l’Etat n’ayant pas d’argent - ces 22 milliards d’euros ont été attribués à un opérateur, l’Agence nationale de la recherche, qui – en quelque sorte – redonne ces crédits à l’Etat, et attribue les financements au compte-goutte.
Le « grand emprunt » se traduit donc, en réalité, hors prêts et prises de participation, par des décaissements des administrations publiques que le Gouvernement évalue, dans le rapport économique, social et financier annexé au présent projet de loi de finances, à « environ 2 Md€ en 2011, 3 Md€ en 2012 et 3 à 4 Md€ par an entre 2013 et 2015 ».
Etait-ce la peine de monter – excusez-moi l’expression – une telle usine à gaz pour finalement augmenter les dépenses de seulement quelques milliards d’euros par an pendant quelques années ?
Sans parler du fait que l’argent confié aux opérateurs est débudgétisé, et échappe donc, dans une large mesure, au contrôle du Parlement. Dans ces conditions, vous le comprendrez, nous sommes en droit de nous demander, par exemple, si le Grand Emprunt ne conduit pas les opérateurs à moins répondre aux appels à projets de l’ANR ou de l’Union européenne ? Ou bien si le grand emprunt ne se substituera pas finalement aux crédits budgétaires ?
J’en viens à la question centrale qui nous est posée. Nous nous trouvons aujourd’hui, à une « période charnière ». Le budget 2012 de la Recherche et de l’Enseignement supérieur marque la fin d’un cycle budgétaire, mais il ne trace pas de perspectives claires sur le nouveau cycle qui s’ouvre.
La fin d’un cycle, le début d’un autre, marqué par une stagnation voire une régression des crédits en 2012. Les crédits de paiement de la mission n’augmentent que de 1%, en euros courants, soit un recul de 1% en euros constants. Les seules dépenses de recherche baissent de 0,8% en crédits de paiement, et les dotations des grands organismes de recherche varient -0,5% et +0,5%, créant ainsi des situations budgétaires critiques.
Aujourd’hui, tout laisse à penser que la nécessité de réduire les déficits publics va inciter à diminuer les dépenses de recherche et d’enseignement supérieur. Pourtant, ces dépenses sont celles qui, à long terme, soutiennent la croissance et réduisent le déficit public, comme j’ai tenté de le montrer dans le rapport. Diminuer ces dépenses contribuerait donc à réduire, à long terme, la soutenabilité des finances publiques.
A cela s’ajoute le fait que sans un effort très soutenu en matière d’innovation, c’est l’ensemble du tissu industriel de la France qui s’en trouverait gravement fragilisé, accroissant d’autant son déficit extérieur.
Dans le rapport, à partir des travaux du Conseil d’Analyse Economique de la Direction du Trésor, j’ai essayé de répondre à une question simple : dans quelle mesure les dépenses de recherche et d’enseignement supérieur influent-elles sur la croissance de long terme de l’économie ?
Les résultats sont évidemment – je le concède – quelque peu conventionnels mais, en résumé, selon les estimations disponibles, si chaque année on dépense 5 milliards d’euros pour la recherche et l’enseignement supérieur, au bout de 30 ans le PIB s’en trouve augmenté d’environ 1 point et le déficit public est réduit de quelques dixièmes de points de PIB.
Dés lors, à quel niveau faut-il mobiliser largent public pour financer la recherche et l’enseignement supérieur dans notre pays?
Il faut d’abord faire le constat que le taux de subvention publique aux entreprises privées, résultant des subventions budgétaires et du généreux crédit d’impôt recherche, est déjà très élevé en France. Si on augmentait encore ce taux, les dépenses supplémentaires risqueraient de créer un pur effet d’aubaine. En revanche, une croissance des crédits publics en faveur de la recherche fondamentale n’aurait pas ces conséquences.
Dans ces conditions, la commission des finances considère qu’il faut se fixer comme objectif de stabiliser en points de PIB les moyens publics en faveur de la recherche et de l’enseignement supérieur. Si on considère, par exemple, que la tendance du PIB sur longue période est d’augmenter de 4 % par an en valeur, une stabilisation en points de PIB correspond à une augmentation d’1 milliard d’euros par an en moyenne. Aller très au-delà, en matière d’augmentation des dépenses publiques, ne serait pas nécéssairement très efficace. En revanche, il s’avère impératif de faire croître la dépense totale de recherche par une augmentation des dépenses de recherche privée.
En France, les dépenses de recherche-développement, publiques et privées, sont depuis 10 ans de l’ordre de 2 points de PIB. Cela est nettement inférieur aux dépenses de l’Allemagne (2,6 points), des Etats-Unis (2,8 points), du Japon ou de la Suède, qui dépassent les 3 points de PIB, niveau fixé par la stratégie de Lisbonne.
Il nous manque donc 1 point de PIB de dépenses, soit environ 20 milliards d’euros. Ce qui explique cet écart, ce n’est pas une insuffisance de la recherche publique, mais l’insuffisance de la recherche privée.
Malgré la croissance des aides directes et fiscales de l’Etat, les dépenses de recherche
en entreprise stagnent. A cet égard, je ferai deux remarques :
- Le sous-investissement dans la recherche/développement des grandes entreprises françaises se manifeste, notamment en comparaison avec l’Allemagne, par le faible recrutement des docteurs.
- Dans les grands groupes, le pilotage de la recherche échappe généralement aux équipes de R&D et aux sous-traitants pour passer aux mains des financiers qui recherchent l’optimisation dans tous les domaines, notamment fiscal avec le CIR. Cette situation nécessitera une réelle évaluation de l’impact du CIR sur l’effort des entreprises, grandes et petites.
Aujourd’hui, les véritables enjeux en matière de recherche dépassent le champ de la mission « Recherche et enseignement supérieur », et plus largement les questions purement budgétaires. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une vraie politique industrielle, fondée sur les filières technologiques de pointe, dont nous avons besoin, d’une politique en faveur des TPE-PME et des entreprises de taille moyenne trop peu nombreuses dans notre pays, d’une politique tendant à améliorer la compétitivité globale de l’économie.
Pour conclure, d’un mot, pour conclure d’un mot puisque j’ai dépassé mon temps de parole, je vous rappellerai, mes chers collègues, que la commission des finances a décidé de proposer au Sénat de rejeter les crédits 2012 de la mission Recherche-Enseignement supérieur.